Depuis son arrivée à Ford en 2021 en tant que responsable des logiciels, Doug Field avait pour mission de réinventer intégralement l’expérience logicielle chez le constructeur. Avec un passé chez Apple et Tesla, il avait pour ambition de mettre en place une nouvelle « architecture zonale » afin de répondre aux défis de l’électrification. Finalement, ce projet ne se concrétisera pas, et M. Field semble convaincu que cette issue pourrait être bénéfique.
Un projet ambitieux face à une réalité complexe
Lorsqu’il a rejoint Ford, Doug Field avait hérité d’une tâche de taille : transformer ce constructeur centenaire pour l’adapter à l’ère des véhicules définis par logiciel, communément appelés SDV. Ce défi était immense pour une entreprise dont les fondations ne reposent pas sur les logiciels, contrairement à Tesla. Grâce à son expérience au sein du projet Titan chez Apple et à Tesla, il visait à instaurer une architecture informatique novatrice, baptisée FNV4, afin d’accompagner la transition vers des véhicules électriques et connectés.
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L’architecture FNV4, ou « fully networked vehicle », représentait une véritable avancée. Ford visait une centralisation des systèmes, visant à réduire le câblage et à concentrer les opérations de calcul en modules principaux. En s’inspirant de Tesla, ce modèle offrirait des mises à jour logicielles à distance (OTA) et promettait de diminuer les coûts de production. Malheureusement, ce projet ambitieux a rencontré des obstacles considérables, notamment des coûts exorbitants et un décalage par rapport à l’évolution du marché.
Le FNV4 mis de côté
Le projet FNV4 s’est avéré extrêmement onéreux. En 2024, les ventes de véhicules électriques étaient en baisse par rapport à 2023, tandis que les pertes de la division « Model e » atteignaient des sommets historiques. En effet, cette branche électrique et logicielle a enregistré des pertes de 5,1 milliards de dollars l’année précédente. Ainsi, la rentabilité escomptée semblait de plus en plus inatteignable, rendant la justification du projet difficile face aux actionnaires.
Dans une interview avec The Verge, Doug Field reconnaît : « Le contexte dans lequel nous avons lancé ce projet a radicalement changé ». Bien que l’architecture zonale ait proposé des promesses techniques, celle-ci était devenue peu adaptée à la réalité financière de Ford, qui demeure majoritairement composée de véhicules thermiques et hybrides. La décision a donc été prise d’évoluer vers une version intermédiaire de l’architecture existante, la FNV3, appelée FNV3.X.
Selon M. Field, cette solution permet à Ford de « développer de nouvelles fonctionnalités logicielles sur un plus grand nombre de véhicules, sans avoir à retravailler intégralement chaque architecture ». Des innovations telles que BlueCruise, le système d’assistance à la conduite, ainsi que le nouveau système d’infodivertissement, en sont les premiers bénéficiaires. Cette approche « incrémentale » donne la possibilité de réaliser des mises à jour logicielles sur des modèles thermiques, hybrides, et électriques, y compris les utilitaires, qui représentent une part significative des ventes de Ford.
Pas si mal ?
L’abandon de FNV4 a également révélé un choix technique. Ford s’oriente désormais vers une architecture dite « par domaines », moins esthétique mais plus adaptable. Contrairement à l’architecture zonale, qui organise les calculs selon des zones du véhicule, le modèle par domaines répartit les fonctions (comme le freinage ou l’infodivertissement) entre plusieurs unités de contrôle électronique (ECU). Bien que plus lourde en câblage, elle s’avère « plus simple à intégrer aux modèles existants ».
Cette stratégie diffère de celle adoptée par des concurrents tels que Rivian ou Scout, qui s’engagent déjà avec l’architecture zonale. Rivian, par exemple, a réussi l’intégration de sa plateforme dans la mise à jour de sa gamme R1, réduisant de 17 à 7 le nombre de calculateurs, et éliminant environ 2,6 km de câblage, ce qui a facilité le processus de production.
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À la différence de Rivian, Ford conçoit ses logiciels pour l’ensemble de sa flotte, qui comprend des pick-ups et des utilitaires dont la vente se chiffre par millions. « Si j’ai 50 ECU, et que quatre d’entre eux partagent les opérations essentielles, je progresse vers mon objectif », explique Doug Field. Selon lui, l’important n’est pas de limiter le nombre de processeurs, mais de garantir la cohérence et la fiabilité du système.
Centraliser les logiciels, pas le matériel
Cette philosophie s’inscrit aussi dans les relations avec les fournisseurs. Doug Field souhaite reprendre le contrôle sur les logiciels souvent dispersés dans différents modules créés par divers sous-traitants. Ford envisage de centraliser une partie de ces calculs dans un « super zonal », un système centralisé pour une gestion optimisée du code et des mises à jour. C’est une « nécessité pour assurer une expérience cohérente à travers des modèles très variés », souligne-t-il.
Enfin, Doug Field rappelle que, peu importe l’innovation de l’architecture, elle demeure invisible pour le consommateur. « Ce qui est essentiel, c’est l’expérience globale ». Son objectif est de fournir une interface fluide, des fonctionnalités pratiques et des services évolutifs. Que l’architecture soit zonale ou non, cela importe peu pour le client. La voie progressive semble mieux convenir à la diversité de l’offre de Ford et aux exigences immédiates du marché.
Avis de l’auteur
Valentin Cimino
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